Peut-on consommer de l’alcool sur le lieu de travail ?

Astrid – Global Sustainability Consultant

Qu’il s’agisse de gérer la situation d’un salarié en état d’ivresse ou d’organiser un pot de départ, la question de l’alcool en entreprise n’est pas à prendre à la légère par l’employeur. Le point avec Timothé Lefebvre, avocat au Barreau de Paris.

La consommation d’alcool peut-elle être interdite dans l’entreprise ?

Le Code du travail interdit l’introduction et la consommation d’alcool sur le lieu de travail, à l’exception du vin, de la bière, du cidre et du poiré. Il s’agit d’une très ancienne spécificité française, due à la pression du lobby des alcools. Un décret de 2010 précise aussi que le champagne, blanc ou rosé, en tant que vin mousseux, est autorisé. Ces boissons ne peuvent être bues qu’au restaurant d’entreprise ou à des « occasions particulières » (pot de départ, fête de fin d’année, etc.).

Mais depuis 2014, un décret permet à l’employeur de déroger à cette règle, quand la consommation de boissons alcoolisées est “susceptible de porter atteinte à la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs”. De fait, un employeur dont le salarié se blesse ou se tue après avoir consommé au travail peut être poursuivi.

L’entreprise peut donc prendre des mesures via le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service pour protéger ses salariés. Ces mesures peuvent prendre la forme d’une limitation, voire d’une interdiction de la consommation d’alcool, tant qu’elles sont justifiées et “proportionnelles au but recherché ».

Justifier une restriction ou une interdiction de l’alcool au travail est assez facile, puisqu’elle se pratique en fonction de la nature des tâches à accomplir par le collaborateur, et que  l’employeur a une obligation de sécurité à l’égard de ses salariés. La “proportion” est par contre plus compliquée à prouver : il est ainsi quasiment impossible d’interdire, de manière générale et absolue, en tout temps et en tout lieu, tous les alcools pour tous les travailleurs, même pour des raisons de sécurité. L’interdiction, quand elle est décidée par l’entreprise, doit du reste être portée à la connaissance des employés : dans le cas contraire, ceux-ci peuvent se retourner contre leur employeur, devant un juge.

Quels sont les risques pour l’employeur qui néglige la gestion de la question de l’alcool dans son entreprise ?

Ils sont réels et non négligeables. L’employeur qui tolère l’introduction et la consommation de boissons alcoolisées interdites dans l’entreprise, ou encore qui tolère des personnes en état d’ivresse sur les lieux de travail, peut être pénalement sanctionné. L’amende encourue est de 3 750 euros par salarié concerné. La responsabilité pénale d’un employeur peut aussi être retenue à la suite d’accidents causés par des salariés en état d’ivresse. Il peut ainsi être poursuivi pour homicide involontaire pour avoir laissé conduire un salarié saoul ayant causé un accident mortel de la circulation. Sur le terrain civil, en cas d’accident du travail lié à l’état d’ébriété du salarié, l’employeur pourrait voir sa faute inexcusable reconnue sur la base d’un manquement à son obligation de sécurité de résultat.

En outre, le cas récent de Pernod Ricard (en novembre 2019, deux anciens commerciaux du groupe ont dénoncé “la pression permanente” de leur employeur pour les inciter à boire au travail ; une accusation que réfute Pernod Ricard) permet de rappeler qu’un employeur ne peut pas en aucun cas forcer un salarié à boire de l’alcool, en raison de son obligation de préserver sa santé physique et sa sécurité. Des salariés qui se trouveraient dans une telle situation pourraient saisir le juge et obtenir des dommages et intérêts.

Un employeur peut-il mettre en place des contrôles par éthylotest, ou encore empêcher un salarié alcoolisé de sortir de l’entreprise ?

Le Code du travail prévoit qu’il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse. Cette interdiction s’applique aussi bien aux salariés de l’entreprise qu’à des tiers (fournisseurs, prestataires de services etc.).

Un employeur doit ainsi pouvoir s’assurer qu’un salarié ne puisse être dangereux pour lui-même ou pour autrui. Car sa responsabilité peut-être engagée en cas de difficulté. Il peut donc être amené à contrôler la consommation d’alcool (ou de drogue) d’un salarié, notamment via un éthylotest, à l’entrée ou à l’intérieur de l’entreprise.

Le recours à un éthylotest est très restreint : il doit être prévu dans le règlement intérieur. Dans le cas contraire, le salarié peut refuser de s’y soumettre. Les contrôles peuvent être pratiqués par toute personne désignée par l’employeur. Mais ils ne peuvent pas être systématiques. Ils ne sont possibles que quand l’état d’ébriété d’un collaborateur est susceptible de mettre en danger les personnes ou les biens dans l’entreprise. En outre, tout contrôle d’alcoolémie doit pouvoir être contesté par le salarié. Mais si un salarié est contrôlé positif, cela peut conduire à une sanction disciplinaire.

En raison de la liberté absolue d’aller et venir, l’employeur ne peut pas empêcher un salarié de quitter l’entreprise et de prendre le volant, même alcoolisé ; seul un OPJ (officier de police judiciaire) le peut. Toutefois, il peut mettre en place des mesures de prévention, limiter la consommation d’alcool lors des pots de départ, ou l’interdire dans les conditions précédemment décrites. Car il est responsable de ce qui arrive à son collaborateur, quand il est dans l’entreprise, mais aussi quand il en sort.

Finalement, pour éviter tout problème, les employeurs devraient mettre en place une communication claire sur l’usage et la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Toute interdiction devrait être mesurée, mais claire. Au stade de la sanction, l’entreprise doit être ferme ; car elle ne peut pas laisser une consommation d’alcool causer un trouble en interne et porter préjudice à des salariés. Attention enfin aux tolérances, quand elles ne sont pas écrites : la protection pour l’employeur, c’est d’avoir tout transposé noir sur blanc dans le règlement intérieur.


Fabien Soyez – Read more on courriercadres.com


 

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