Entreprise — 09/03/2016 at 12:01

BlaBlaCar, les leçons d’un succès

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Pourquoi y a-t-il si peu de licornes françaises et pourquoi sont-elles financées par des fonds non français ? En fait, la fréquence d’apparition de licornes tricolores s’accélère mais cette réponse, pourtant valide, n’est pas suffisante…

Une licorne est une start-up qui a saisi une opportunité lui permettant de devenir un leader incontesté avec un déploiement géographique de grande ampleur. Parfois, il suffit d’être le leader nord-américain ou chinois pour être une « unicorn » mais, le plus souvent, ce leadership se doit d’être mondial…

Saisir tôt une telle opportunité permet d’envisager une telle trajectoire mais n’est malheureusement pas suffisant. Dailymotion a inventé le modèle du portail-video mais a vu, très vite, YouTube apparaître, être financé grassement puis être racheté par Google. Dailymotion, financé par le capital-risque européen, a dû suivre une trajectoire plus modeste…

Il faut donc être en mesure de garder son leadership au terme d’une course de fond(s) combinant agilité, vitesse et capital… Le capital européen étant moins mobilisable, il nous reste, en fait, les scénarios moins évidents aux yeux des Américains…

Criteo a créé un leader mondial parce qu’à son arrivée aux Etats-Unis, Jean-Baptiste Rudelle, son CEO, s’est entendu dire : « Retargeting does not work. » Criteo avait, en fait, trouvé un modèle là où ses homologues américains avaient échoué et découragé une partie du capital-risque…

Vente-privee.com a construit un superbe business sur un concept né en France et dont il a été démontré plus tard qu’il n’était pas forcément pertinent aux Etats-Unis (cf. l’échec de son joint-venture avec Amex et les interrogations qui pèsent sur Gilt)…

Spotify et Deezer, tous deux européens, ont émergé comme des leaders mondiaux parce que les Américains ont, sans doute, majoritairement pensé qu’iTunes serait durablement l’acteur dominant et incontournable de la musique « digitale »…

Enfin BlaBlaCar s’appuie sur un modèle qui n’a pas réussi à émerger aux Etats-Unis à cause du prix de l’essence, des distances, de la configuration des villes… Dans un autre contexte, Zimride (devenu Lyft) n’aurait pas pivoté et se serait peut-être imposé comme la licorne du covoiturage…

La trajectoire naturelle d’une licorne européenne est d’être d’abord financée par des acteurs domestiques, puis par des acteurs paneuropéens qui sont en majorité basés à Londres (même si on commence à en trouver en Europe continentale), enfin, pour ce qui concerne les « mégarounds », par des acteurs globaux qui sont dans le secteur de la tech majoritairement américains. C’est la trajectoire qu’a suivie BlaBlaCar avec Isai, Accel, Index et maintenant Insight.

Pour bien comprendre cela, il faut savoir que :

Etre le « leader » d’un tour de table de plus de 100 millions d’euros consiste à faire un chèque très important. Seuls les fonds de plusieurs milliards de dollars peuvent s’exposer à cette hauteur sur un seul actif. Il n’y a pas de « multi-billion tech fund » en Europe…

Etre le « leader » d’un tel tour signifie être capable de valoriser une entreprise en regardant son potentiel à moyen terme et en anticipant son succès. Cette capacité à anticiper la création de valeur n’est pas l’apanage de la culture financière européenne, beaucoup plus conservatrice…

Pour la société concernée et ses actionnaires, lever un tel tour de financement est une opportunité très attractive (qui permet d’augmenter ambition et vitesse d’exécution et de mitiger certains risques), mais ce n’est pas une obligation. C’est parce que la valorisation est « spéculative » que ledit tour de table peut se concrétiser…

BlaBlaCar est aujourd’hui valorisé à 1,5 milliard de dollars parce que ses nouveaux actionnaires pensent que la société pourrait valoir de 5 à 10 milliards de dollars dans quelques années. Frédéric Mazzella, ses cofondateurs et le V. C. de la première heure (que je suis) le pensent, mais nous savons aussi qu’il n’y a aucune certitude en la matière.

« Viser la lune » tout en sachant « garder les pieds sur terre » est l’exercice extrêmement difficile auquel les dirigeants des sociétés tech les plus ambitieuses sont confrontés. C’est superexcitant à vivre et je suis certain que cette histoire exceptionnelle fera des émules et des… licornes.

Après tout, ce ne sera pas bien grave si celles-ci sont financées avec la retraite de nos amis américains.


Jean-David Chamboredon est président exécutif d’Isai Gestion SAS. / Les Echos

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