Économie — 19/02/2015 at 12:33

Le souvenir du « massacre de la Saint-Valentin »

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A Wall Street, les faillites passent, les carrières, elles, se poursuivent, bon an mal an. Ces derniers jours, le petit monde de la finance se souvenait, avec une certaine nostalgie, qu’il y a vingt-cinq ans, Drexel Burnham Lambert (DBL), l’une des principales banques d’affaires de la place, disparaissait corps et biens, succombant à un cocktail bien connu, quoique mortel, d’avidité, de génie et d’arrogance. Vingt-cinq ans déjà. L’occasion de se poser la question à propos des principaux protagonistes de l’époque : que sont-ils devenus ?

Avant que Lehman Brothers n’éclipse DBL dans les annales des sinistres de la finance, ce nom a toujours suscité à Wall Street des sentiments mitigés entre fascination et opprobre. La firme la plus rentable et la plus redoutée de l’époque finira par s’écrouler au cours de ce qu’on appela le « massacre de la Saint-Valentin », laissant sur le carreau près de 6 000 employés. En l’espace de quelques jours, cent cinquante ans d’histoire étaient réduits en fumée.

A l’origine du désastre, un nom : Michael Milken. Avec sa tignasse noire de jais et sa mâchoire carnassière, il s’était fait connaître grâce à sa virtuosité sur le marché des junk bonds, littéralement des obligations « pourries ». Des titres très risqués, donc très rentables, qui allaient devenir le principal carburant de raids boursiers menés à la hussarde, dont certains de façon illégale.

Le dernier bonus touché par Milken avant sa chute retrace à lui seul le parcours du personnage : 550 millions de dollars (482,3 millions d’euros) ! Comme l’avait déclaré en 2005 au New York Times Richard B. Handler, qui était à la fin des années 1980 l’un des jeunes traders de la société : « The sky was the limit », autrement dit, il n’y avait plus aucune limite.

Délits d’initié, manipulations de cours

A elle seule, DBL a détenu jusqu’à plus de 60 % de ce marché des obligations à haut rendement, représentant plus de 150 milliards de dollars, et dont les marges étaient en moyenne trois fois supérieures à celle des autres placements. Ce sont aussi ces acrobaties qui auront une part de responsabilité essentielle dans la crise des caisses d’épargne américaines à la fin des années 1980.

A cette époque, la banque d’affaires était LA firme, celle où il fallait être, celle capable d’accélérer les carrières, d’attirer les meilleurs, de s’enrichir à une rapidité encore jamais atteinte. Trop beau pour être vrai. DBL finit par susciter la jalousie des concurrents et la suspicion de Rudolph Giuliani, alors procureur général de New York et futur maire de la ville.

L’enquête révélera que derrière les performances stratosphériques se cachaient des délits d’initié et des manipulations de cours. Sous la pression, les langues se délièrent, et Milken fut mis en examen pour 98 chefs d’accusation, dont racket, escroquerie et délit d’initié. Condamné à dix ans de prison en 1991 et à 600 millions de dollars d’amende, l’ex-roi des junk bonds sera finalement libéré vingt-deux mois plus tard.

Même si les condamnations ont été très circonscrites, on aurait pu penser qu’un passage chez DBL aurait plombé plus d’une carrière. En fait, c’est exactement l’inverse qui s’est passé. Richard Handler, le jeune trader, est devenu depuis patron de la banque d’investissement Jefferies. Leon Black, maître d’œuvre des fusions et acquisitions a, lui aussi, bien atterri en créant en 1990, avec ses compères de DBL, Joshua Harris et Marc Rowan, le fonds de private equityApollo, qui dispose aujourd’hui de 164 milliards de dollars sous gestion.

Antony Ressler a lui aussi été un temps de l’aventure Apollo, avant de fonder Ares Management, un fonds doté de 80 milliards de dollars. De son côté, Stephen Feinberg est à l’origine de Cerberus, un fonds d’investissement qui s’est fait connaître du grand public en prenant le contrôle de Chrysler en 2007. Mitchell Julis, qui avait chez DBL la responsabilité d’un portefeuille d’entreprises en difficulté, a monté Canyon Partners, un hedge fund de 23 milliards de dollars. L’ancien directeur général de DBL, Kenneth Moelis a pris la tête de la banque d’investissement UBS avant de monter sa propre banque d’investissement, Moelis & Co, qui a été introduite en Bourse en 2014 et qui vaut aujourd’hui un peu moins de 2 milliards de dollars.

Enfin, Marc Faber, après avoir subi les conséquences des mauvaises nouvelles, a choisi de les annoncer lui-même. Il a créé The Gloom Boom & Doom Report, une lettre mensuelle sur tout ce qui a trait au marché baissier, ce qui lui a valu le surnom de « Docteur Doom » (docteur Catastrophe). Bref, la culture DBL a essaimé dans tout Wall Street, faisant notamment les beaux jours des concurrents.

Quant à Michael Milken, s’il a toujours la denture agressive, sa tignasse a laissé place à une magnifique calvitie. Lui aussi aurait pu continuer sur sa lancée s’il n’avait pas été interdit d’activité boursière, conséquence directe de sa décision de plaider coupable pour alléger sa peine. Aujourd’hui, il travaille avec un certain succès à la réhabilitation de son image en créant une fondation, qui lève de l’argent en faveur notamment de la recherche sur le cancer. Pour lui aussi, le « massacre de la Saint-Valentin » n’est désormais qu’un lointain souvenir.

Le Monde/Stéphane Lauer 

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