Monde digital et algorithmes : Vers de nouvelles pratiques de pensée

La digitalisation des organisations induit des mutations majeures dans les “activités à penser en collectif”. Une démarche cognitive prendra en particulier une place dominante dans les organisations de demain : la pensée algorithmique. Par Jean-Louis Magakian, professeur de stratégie à l’EM Lyon Business School.

Dans son ouvrage Comment pensent les institutions, Mary Douglas étudie la nature des “collectifs de pensée”. Cette idée, issue de la sociologie d’Émile Durkheim, se focalise sur l’étude des solidarités collectives. Celles-ci se produisent à partir de croyances communes et des modèles mentaux d’ordre social que les individus projettent au quotidien dans leurs actions. Mais la digitalisation des organisations induit des mutations majeures dans les “activités à penser en collectif”.

Pensée linéaire et raisonnement probabiliste

Nous distinguerons principalement trois mutations. Soulignons d’abord l’importance d’une pensée linéaire ou causaliste. Dans les organisations, ce mode de pensée domine implicitement. Guidées par une intentionnalité, elles recherchent les enchaînements logiques de causes à effets dans le cours des actions. De ces enchaînements découlent des raisonnements d’ordre déductif ou inductif comme les syllogismes. La situation prime car elle donne les indices et inférences pour produire la pensée.

La seconde approche se fonde sur le raisonnement probabiliste : une pensée avec un degré d’incertitude élevé tel que l’intentionnalité demeure instable. Cette pensée rappelle la notion d’écologie de l’esprit (Gregory Bateson). Dans ce cadre, une activité mentale est la production d’un ensemble d’observations faites par les individus sur l’environnement. Elle combine une logique causaliste avec la perception des risques, c’est-à-dire la combinaison des convictions et des croyances.

La pensée algorithmique remplace l’intuition

La troisième démarche cognitive prendra une place dominante dans les organisations de demain. C’est la pensée algorithmique. Elle comporte plusieurs composantes, le travail des algorithmes étant justement de décomposer une activité en une multitude de tâches pour atteindre la résolution d’un problème.

Une grande partie des activités de raisonnement, de calcul, de prévision ou d’anticipation sont pris en charge avec ces programmes algorithmiques. Des systèmes numériques se chargent d’extraire des corrélations de grandes masses de données pour en produire des modèles. Cette démarche remplace progressivement l’intuition. La pensée se scinde en deux. D’un côté l’extraction des profils de corrélation, de l’autre une décision qui en découle.

C’est ici qu’apparaît le problème managérial : quelles sont les compétences nécessaires pour déjouer une forme de standardisation des modes de pensée dans la mesure où les représentations sociales, propres à chaque groupe social et si chères à Durkheim, deviendront une dimension inutilisée ?


Docteur en Sciences de Gestion,, Louis Magakian est professeur de stratégie et organisation à l’EM Lyon. Son travail porte sur les activités cognitives en entreprise via la « théorie de l’activité ».

Ce cadre de recherche s’insère dans l’étude opérationnelle des nouveaux critères de recherche portant sur les activités cognitives, les formes de discours (langages naturels, codifiés, symboliques) et les relations technologie/organisation. En entreprise, ce champ d’études se situe au niveau des interactions entre dirigeants et l’ensemble des parties prenantes de la décision stratégique mais aussi au niveau organisationnel dans les contextes collaboratifs d’innovations collectives et participatives.

Lire la suite sur courriercadres.com

Leave a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *

*