Entreprise — 09/08/2016 at 08:30

L’avenir d’Uber est-il vraiment radieux ?

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Si Uber est devenu l’archétype de la révolution digitale, ses perspectives ne sont pas pour autant claires, loin s’en faut. Cinq défis majeurs attendent l’entreprise.

Avec 1,15 milliard de dollars récemment levés, Uber va continuer à se développer à marche forcée. En France, la société part à l’assaut des stations balnéaires et des villes intermédiaires pour mieux répondre aux besoins de clients mondialisés. Selon les analystes, la jeune licorne serait actuellement valorisée plus chère que General Electrics, Ford ou Hertz. Voici cependant les cinq challenges auxquels l’entreprise californienne est confrontée.

1) Un schéma concurrentiel difficile

Les survalorisations que l’on constate souvent dans le digital tiennent à la création demonopoles naturels. Plus il y a de monde sur Facebook, plus c’est intéressant d’y aller. Cette logique d’auto-renforcement (dite « winner takes all ») existe pour Uber car la force de son réseau garantit des temps de prise en charge plus rapides pour ses clients. La présence mondiale d’Uber est incontestablement un avantage : Uber offre partout le même service à des voyageurs qui sont souvent par essence étrangers à la ville qu’ils visitent.

Par rapport à Facebook, la société de Travis Kalanic présente cependant une faiblesse majeure : une âpre concurrence offrant exactement les mêmes services et disposant de moyens importants. Soutenu par Apple, le concurrent chinois Didi vient de lever plus de 4,5 milliards de dollars. En 2015, cet acteur s’est associé à Lyft (USA), Ola (Inde) et GrabTaxi (Australie). Un autre géant mondial s’est créé en un temps record.  

Uber est en fait confronté à la concurrence sur deux flancs. Les clients zappent facilement d’une compagnie à l’autre, les chauffeurs aussi. Nul besoin pour cela de matériel supplémentaire, un smartphone suffit. La force d’Uber a consisté à conquérir rapidement de nombreux pays, en s’affranchissant des contraintes matérielles ou organisationnelles. Cette même approche permet à la concurrence de se développer.

Technologiquement, les barrières à l’entrée sont relativement faibles. L’application Chauffeur Privé n’est pas sensiblement moins performante en matière d’ergonomie et de fonctionnalités. D’expérience, ce petit concurrent local offre des temps d’attente raisonnables. Dans le domaine du transport urbain, on peut atteindre une taille critique assez facilement surtout si les chauffeurs du concurrent travaillent aussi pour vous. Clairement, Uber joue dans un univers concurrentiel qui n’est pas un « océan bleu » mais au contraire une zone de guerre.

2) Une qualité qui se dégrade

Les utilisateurs historiques d’Uber, dont je suis, se plaignent parfois d’une qualité dégradée par rapport à la période du début du service en France. Les bouteilles d’eau ont disparu mais ce n’est pas tout. Lors de ma dernière course, la prévision du temps de prise en charge était largement imprécise. Uber est-il victime de son succès ? Dans le service, la logique d’industrialisation est toujours complexe avec des logiques d’économie d’échelle parfois difficiles à trouver.

En ce qui concerne le service client, les effectifs doivent plus ou moins s’ajuster à l’activité, à moins de renoncer à la qualité. Dans le cas du marché des VTC, il semble que la concurrence par le prix soit cependant en train de l’emporter, ce qui n’est jamais une bonne nouvelle pour les compétiteurs.

3) Une extension à d’autres métiers peu évidente

Difficile d’avoir des statistiques fiables mais l’extension d’Uber à d’autres services comme UberEats pose quelques questions. Dans le domaine ultra-concurrentiel de la livraison de repas à domicile, il semble que des Foodora ou Deliveroo aient quelques longueurs d’avance. Un petit sondage montre que sur Paris, les leaders proposent quatre fois plus de restaurants qu’UberEats.

Plusieurs facteurs expliquent ces difficultés :

- Les processus sont propres à chaque métier. Dans le service, chaque détail compte. La livraison de repas avec ses spécificités est bien différente du transport urbain.

- La marque n’est pas aussi porteuse qu’elle pourrait le paraître. Les domaines du taxi et du restaurant évoquent des imaginaires différents chez les clients. La transposition d’une expérience réussie (encore faut-il qu’elle le soit) n’est pas si naturelle.

- Uber risque de ne pas pouvoir suivre en matière d’investissement. Le cross selling entre les métiers peut bien sûr fournir à Uber une rampe de lancement mais les problématiques de marque en limiteront la portée. Il faudra donc pour Uber investir dans chaque segment de marché au risque de se disperser. 

4) Un problème social à gérer

Uber s’est construit sur un avantage compétitif important, celui de ne pas avoir de salariés. Dans la vieille Europe, c’est un avantage concurrentiel hors norme : pas decomité d’entreprise à canaliser, pas d’heures supplémentaires à payer, une gestion des ressources humaines minimaliste. Aux Etats-Unis, la société a cependant maille à partir avec la justice, certains contrats ayant été requalifiés en salariat. Des problèmes sont aussi signalés au Royaume-Uni.

Ce sujet délicat est pour Uber une épée de Damoclès d’un point de vue financier. La société risque aussi de se créer une aura de brutalité. Ce n’est pas en distribuant des glaces à ses clients (opération « UberIceCream » où les clients d’Uber ont pu se faire livrer des glaces gratuitement) qu’Uber se rendra forcément sympathique à tout le monde.

5) Le grand bouleversement de la voiture autonome

La voiture autonome va rebattre les cartes de secteur, en changeant significativement les facteurs clés de succès. Une partie du savoir-faire d’Uber, qui réside dans le recrutement, le management et la gestion des chauffeurs, ne servira plus à rien. La maîtrise de la logistique et la capacité à optimiser les flux financiers pourraient redevenir déterminants à moins que des modèles purs de car sharing ne l’emportent… 

Plusieurs prétendants au titre sont dès lors possibles, notamment les constructeurs ou les loueurs qui disposent d’un capital client intéressant et de belles marques. Durant cette phase de forte incertitude, Uber devra de toute façon se préparer à une concurrence difficile, ce qui créera des tensions fortes sur le cash.

Le monde du digital est coutumier d’enthousiasmes soudains suivis de revirements brutaux (RIM, AOL…). Uber reste une entreprise extraordinaire et emblématique. Elle est notamment remarquable par la qualité et la vélocité de son exécution. Ce sont probablement ses meilleurs atouts pour réussir dans un secteur qui va encore subir de nombreuses mutations.


Source : Pierre Guimard, Keley Consulting – JDN

 

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