Think Tanks — 12/07/2016 at 14:00

Industrie 4.0, regards Franco-Allemands

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La digitalisation de l’industrie est aujourd’hui un enjeu crucial pour les pays occidentaux. Quelles innovations économiques et technologiques peut-elle apporter ? Faut-il craindre ses coûts sociaux ? Une rencontre franco-allemande a décrypté les enjeux d’une industrie 4.0 pleine d’avenir.

Avec :
– Daniel Buhr, Institut de sciences politiques de l’université de Tübingen, auteur de l’étude “Une politique d’innovation sociale pour l’industrie 4.0“,
– Vincent Charlet, directeur de la Fabrique de l’industrie.
– Konrad Klingenburg, directeur du bureau de Berlin, IG Metall.

Le débat, co-organisé avec la Fondation Friedrich-Ebert, le ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique et la Fabrique de l’industrie, était animé par Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques.

Besoin d’avoir une définition claire de l’industrie 4.0 ? Daniel Buhr s’y emploie en quelques mots, en vidéo (en anglais).

 

Industrie 4.0 : L’Audio

Synthèse des débats :

 
La rencontre « Industrie 4.0, regards franco-allemands » est un événement organisé par la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation Friedrich Ebert, avec le ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique et la Fabrique de l’industrie. Il s’est tenu le 23 juin 2016 de 9 heures à 11 heures. Le débat était animé par Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, avec pour principaux intervenants Daniel Buhr, professeur à l’université de Tübingen, Vincent Charlet, directeur de la Fabrique de l’industrie, et Konrad Klingenburg, directeur du bureau Berlin d’IG Metall.

Premier intervenant, Daniel Buhr est revenu sur le concept d’industrie 4.0. Il a d’abord insisté sur le fait que ce concept est encore largement susceptible d’évoluer. L’industrie 4.0 repose sur l’idée que les données récoltées par de nombreux acteurs seront mises en réseaux pour être exploitées par les machines, alors capables de se piloter, et par les individus. Cela s’inscrit dans une certaine vision des phénomènes économiques, et du mécanisme de destruction créatrice schumpetérien : avant l’industrie 4.0, il y a eu une « industrie 1.0 », suivie d’une « industrie 2.0 » puis d’une « industrie 3.0 ». Il apparaît que certaines entreprises sont beaucoup plus avancées que d’autres, et ceci est souvent corrélé à la taille de l’entreprise elle-même. Etant encore une vision d’avenir, l’industrie 4.0 est perçue comme une opportunité en Allemagne, et les syndicats n’y font pas obstacles. Des risques existent cependant : marginalisation, concentration des activités, sécurité des données… De fait, selon Daniel Buhr, une spécialisation va avoir lieu entre les humains qui prendront en charge les services et les décisions, et les « systèmes cyber-physiques » servant d’outils. Certains groupes professionnels profiteront plus aisément de cette évolution (les plus qualifiés) alors qu’une polarisation aura lieu au niveau médian, les moins qualifiés souffrant davantage de l’automatisation de la production. Une innovation repose sur deux principes pour réussir : elle doit constituer une nouveauté et doit ensuite se diffuser dans la société, qui la généralise. Elle repose donc sur l’acceptation par l’ensemble des acteurs, ce qui induit que les changements techniques et technologiques entraînent également des innovations sociales. L’intervenant regrette que l’Allemagne se focalise trop sur le progrès technique en négligeant l’amélioration des qualifications, de la vie professionnelle, l’économie de ressources, etc. qui devraient assurer qu’une plus grande part de la population bénéficie des changements en cours. Il est impératif que les changements actuels entraînent des externalités positives dans la société.

A la suite de Daniel Buhr, Konrad Klingenburg a voulu illustrer l’importance et les enjeux du rapport homme/machine qui existe dans l’industrie 4.0. Le concept date de 2010-2011, il est donc récent mais inquiète les salariés, dans le secteur de la métallurgie par exemple. L’industrie allemande tente d’en faire une chance pour tous. L’intervenant prend l’exemple de Volkswagen qui s’appuie sur l’industrie 4.0 pour compenser les carences dues à la démographie déclinante de l’Allemagne. Les salariés sont cependant inquiets de cette automatisation accrue et se retrouvent face au défi d’augmenter leur niveau de qualification alors que les exigences à leur égard augmentent. Il faut donc développer une nouvelle culture de l’apprentissage pour assurer une formation en continu des travailleurs, surtout des moins qualifiés. Le rapport homme/machine ne doit ainsi plus être une rivalité ou une concurrence, mais permettre une coopération. Si la mécanisation et l’automatisation représentent un intérêt évident pour les entreprises, elles ont également grandement amélioré les conditions de travail des salariés. Comment concilier la flexibilité nouvelle que permettent les progrès techniques récents et la protection des salariés ? Cette question, fondamentale pour un syndicat, est en effet renouvelée par le « crowdworking », où une activité auparavant exercée en entreprise est désormais mise en œuvre par un groupe d’acteurs agissant au travers d’une plate-forme internet. Le « crowdworking » représente une externalisation d’un nouveau genre et pose des problèmes nouveaux : isolement du travailleur, perte de savoir-faire des entreprises… Face aux changements de plus en plus rapides, et aux écarts territoriaux de plus en plus grands, l’action et l’organisation syndicale et du marché du travail doivent être repensées.

Vincent Charlet a pris ensuite la parole pour faire quatre remarques sur ce sujet. La première est qu’en termes de récit collectif, la France est plus modeste que l’Allemagne sur l’industrie 4.0. Elle l’appelle en général « l’usine du futur » ou « l’industrie du futur » plutôt qu’industrie 4.0, et ne discute pas autant que l’Allemagne sur la transformation que cela représente pour la société. L’Allemagne a su se mobiliser autour de l’industrie 4.0 : si le concept est encore un peu flou, tous les acteurs économiques sont d’accords pour avancer ensemble. La deuxième remarque est qu’il n’y a pas assez d’analyse sur les « gagnants » et les « perdants » du processus en cours. Il faut ainsi réussir à trouver une réponse au débat sur les externalités positives. Les entreprises craignent parfois d’investir de peur que leurs efforts profitent à d’autres. Il en résulte une certaine tendance des entreprises, surtout celles petites ou moyennes, à ne pas s’engager sur des projets qui peuvent paraître trop innovant et qu’ils ne contrôlent pas entièrement. Le contenu du travail est aussi un sujet en voie d’évolution. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication créent une rupture entre ceux qui peuvent en bénéficier et ceux qui ne peuvent pas. Cela ne dépend pas que des qualifications, certains métiers et emplois étant plus « connectés » que d’autres de manière inhérente. Les changements récents posent aussi la question de la confiance sur le lieu de travail, maintenant que les individus peuvent être surveillés par le biais de leur ordinateur ou smartphone. Enfin, Vincent Charlet insiste sur la différenciation qui doit exister entre activités publiques et privées. Si le domaine privé peut très bien développer de nouvelles technologies, le secteur public doit jouer un rôle important pour assurer ce que le secteur privé ne peut faire seul : éviter le déclassement social, assurer des mécanismes de formation et d’acquisitions efficaces…

A la suite de ces prises de paroles, une séance de questions/réponses a été organisée.  
La première question portait sur la nécessité (ou non) d’une standardisation dans l’industrie 4.0. Daniel Buhr oppose deux modèles, avec un système américain et un système européen qui conduisent à différentes manières de penser et d’organiser la recherche et l’innovation. La standardisation des données et des procédures apparaît comme un énorme problème pour l’industrie 4.0, avec peu de solutions très claires. Des entreprises américaines se sont réunies pour réfléchir sur des normes communes, et elles ont été rejointes par des entreprises allemandes.

Une seconde question portait sur la manière d’amener les PME/PMI vers les objectifs de l’industrie 4.0.
Le principal problème soulevé par les intervenants pour la réalisation de cet objectif est que les infrastructures manquent : de larges parties du territoire, en France comme en Allemagne, ne sont pas couvertes par le réseau à très haut débit nécessaire pour le fonctionnement de cette industrie. Les mentalités doivent changer aussi pour convaincre plus largement de l’intérêt et de la pertinence de l’industrie 4.0, pour des entreprises qui sont parfois déjà des leaders mondiaux dans « l’industrie 3.0 ». Des changements doivent aussi être réalisés au niveau de la formation continue, notamment en la rendant plus inclusive et plus orientée vers les personnes les moins avantagées, et en valorisant la formation au quotidien au sein des entreprises.

Une autre question portait sur les résultats de la coopération franco-allemande sur l’industrie 4.0 et au niveau international.
Si Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel ont fait une déclaration commune à la foire internationale de Hanovre, la coopération reste au niveau du dialogue, sans vraiment aller plus loin. Cela est aussi valable au niveau international, avec une coopération encore très limitée. De même, les politiques communautaires en la matière restent très classiques et ignorent beaucoup d’aspects neufs.

Une dernière question portait sur l’existence éventuelle en Allemagne d’accords pour mieux partager les gains de cette industrie 4.0.
Ce sujet est en effet au cœur des négociations des conventions collectives depuis quelques années, et devrait l’être encore. Cependant, le sujet reste neuf et rien n’est encore stabilisé.

 

 


Source : Daniel Buhr, Vincent Charlet, Konrad Klingenburg, Guillaume Duval – Fondation Jean-Jaurès

Article Original : Industrie 4.0, regards Franco-Allemands

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