Économie — 16/03/2016 at 14:05

Qu’est-ce qu’un arbitrage de fusion ?

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Les opérations de fusions-acquisitions battent des records. Beaucoup se font par échange de titres. Les doutes concernant l’issu de l’opération donnent lieu à des arbitrages lucratifs, mais potentiellement risqués. Une petite explication s’impose.

Lors d’une offre d’acquisition par échange de titres, on s’aperçoit que le cours de la cible s’établit généralement à un niveau inférieur à la valeur implicite payée par l’acquéreur. De surcroît, cet écart de prix peut varier de façon importante entre le moment de l’annonce et la conclusion (ou le retrait) de l’offre. C’est là qu’interviennent les fonds spécialisés dans l’arbitrage de fusion (ou “merger arbitrage”). Quel est leur but ? Comment gagnent-ils de l’argent ? Quels sont les risques ?

Pour mieux comprendre ces questions, prenons un exemple volontairement simplifié. Supposons que l’acquéreur ait émis 1 million d’actions valorisées à 100 euros chacune. La cible a aussi 1 million d’actions. Mais celles-ci n’ont aucune valeur. Initialement, l’acquéreur est donc valorisé à 100 millions d’euros tandis que la cible a une valeur nulle. Pour une raison quelconque, l’acquéreur décide d’offrir une de ses actions pour chaque action de la cible.

Si les marchés croient à la réussite de l’opération, le prix des actions de l’acquéreur et celui des actions de la cible convergeront immédiatement vers les 50 euros. En effet, le million d’actions de la cible sera échangé contre un million de nouvelles actions émises par l’acquéreur. Il y aura donc 2 millions d’actions rapportés à une valeur combinée de 100 millions d’euros. D’où un prix post-acquisition de 50 euros par action.

Un pari sur l’issu de l’offre

La plupart du temps, des doutes existent concernant la conclusion de l’offre. Les opérateurs peuvent accorder une probabilité inférieure à 100 % que l’opération réussisse. Pour fixer les idées, supposons que cette probabilité soit de 40 %. Ce qui veut aussi dire que la probabilité d’un échec est estimée à 60 %. Dans ce cas, le prix des actions de la cible ne grimpera qu’à 20 euros = 0,4 (50 euros) + 0,6 (0 euro). Ce résultat n’est autre que la moyenne des valeurs associées à deux issues possibles pondérées par la probabilité de leur occurrence. Dans le même temps, le prix des actions de l’acquéreur baissera de 100 à 80 euros = 0,4 (50 euros) + 0,6 (100 euros).

La probabilité de succès de 40 % représente ici une agrégation des anticipations du marché. Un fond particulier pourra avoir des anticipations différentes. Supposons ainsi qu’il soit quasiment certain de la réussite de l’opération. Il pourra alors acheter un certain nombre d’actions de la cible et vendre à découvert un nombre identique d’actions de l’acquéreur. Pour réaliser la vente à découvert, il lui suffit d’emprunter les titres à un investisseur qui les détient en portefeuille contre la promesse de les lui rendre un peu plus tard.

Des profits potentiels alléchants

Si ses anticipations s’avèrent correctes, le fond recevra les actions de l’acquéreur en échange des actions de la cible qu’il a achetées un peu plut tôt. Ainsi, il pourra rendre les actions de l’acquéreur qu’il a empruntées. Il ne devra alors plus rien. Il lui restera toutefois la différence entre le prix des actions de la cible qu’il a achetées pour 20 euros et le prix des actions de l’acquéreur qu’il a vendues pour 80 euros. Soit un profit de 60 euros par paire de titres. Ce profit correspond à l’écart de prix entre la valeur implicite de l’offre (une action de l’acquéreur valant 80 euros) et le prix de la cible (20 euros par action).

Évidemment, il y a le risque que l’offre n’aboutisse pas. Les autorités de la concurrence peuvent trouver que la nouvelle entité détient un pouvoir excessif qui pourrait nuire à l’exercice de la concurrence. Certains actionnaires de l’acquéreur peuvent douter de la pertinence de l’opération et s’y opposer.

Quelle qu’en soit la raison, si l’offre est retirée, le prix des actions de l’acquéreur devrait revenir à son niveau précédent de 100 euros tandis que le prix des actions de la cible devrait retomber à zéro. Le fonds spéculatif sera alors en possession d’actions (de la cible) sans valeur. Il devra aussi racheter les actions de l’acquéreur afin de les rendre à l’investisseur auprès de qui il les a empruntées. Au total, sa perte sera de 40 euros par paire de titres.

Entre le moment de l’annonce et la conclusion de l’offre, beaucoup de choses peuvent se passer. Certains investisseurs peuvent exprimer des opinions favorables ou défavorables. Les opérateurs en tireront alors toutes les conséquences pour prendre position sur le succès de l’opération. D’où une variation de l’écart entre la valeur implicite de l’offre et le prix des actions de la cible.

Mais avec un risque qui n’est pas négligeable

Comme exemple concret, prenons l’offre d’achat émise au début de l’été dernier par l’américain Monsanto sur le Suisse Syngenta. À l’annonce de l’offre, le prix des actions de la cible a bondi de 315 à 390 francs, soit une progression de près de 24 %. Pourtant l’offre en cash et en titres valorisait Syngenta à 449 francs.

L’écart entre la valeur implicite de l’offre (449 francs) et la valeur de marché (390 francs) s’explique par la probabilité non négligeable que l’opération ne puisse être menée à son terme. De fait, les positions dominantes de l’acquéreur et de la cible sur les mêmes segments de marchés pouvaient laisser présager de fortes réticences de la part des autorités de la concurrence américaines et européennes.

Qu’à cela ne tienne, certains hedge funds ont été tentés de miser sur une issue favorable de l’offre. Ainsi, John Paulson qui a gagné une fortune en pariant sur l’effondrement des obligations adossées aux crédits subprime décida de prendre une grosse position sur Syngenta. Hélas, l’offre de Monsanto fut retirée avant même la fin de l’été. Le cours de Syngenta retomba autour de 310 francs. Comme quoi, les arbitrages de fusion ne sont pas sans risques. Même pour les spéculateurs les plus aguerris !


Pascal Nguyen / Professeur à Neoma Business School / Les Echos

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